ANGKOR ET TOUJOURS : Chroniques Cambodgiennes
A lire en écoutant
RYAN BINGHAM - The weary kind
Parce que 5 mois le sac sur le dos en Asie et 3 jours aux temples d'Angkor ont eu, temporairement, raison de
moi!
Et parce que depuis 3 ans que je l'ai découvert, il ne s'est pas passé une seule journée sans que raisonnent dans mes
oreilles les compositions rock country-folk de ce génialissime songwritter
Les rives du Mékong ont été, à travers les siècles, le berceau de la gloire et du déclin de bien des empires.
L'histoire de l'Asie du sud-est est d'ailleurs à l'image des eaux tumultueuses de ce fleuve : à des périodes de calme et de prospérité -où ces puissants empires se sont élevés- ont succédées de
brutales périodes de troubles -qui ont vu ces empires tomber en désuétude aussi rapidement qu'ils avaient brillés. Le Mékong a été le terrain fertile qui a vu naitre de fantastiques et
légendaires civilisations, avant d'être le tas de cendres fumants où le destin de ces civilisations s'est joué à la lame acérée de l'épée. Et cela n'a jamais été aussi vrai qu'au Cambodge! Pour
s'en convaincre, il n'y a qu'à jeter un coup d'oeuil sur le dernier millénaire de son histoire. Un millénaire qui a débuté avec l'avènement de la fantastique civilisation Khmère pour se terminer
dans le sang du terrible génocide Cambodgien.
Contrairement au Laos, ce ne sont pas les paysages qui ont fait l'intérêt de mon court séjour au Cambodge. Non, ce
qui m'a littéralement envouté dans ce pays c'est son histoire. Une histoire avec un grand H, surprenante, à la fois magique et choquante, merveilleuse et triste. Mais en tout point une histoire
qui frappe, une histoire "incroyable". La visite du Cambodge a ça d'éprouvante que si l'on se penche sur les méandres de son passé (et c'est dur de ne pas le faire vu que c'est là que réside la
richesse du pays) on n'a de cesse d'être surprit, envahis tour à tour par des sentiments diamétralement opposés. A Phnom Penh c’est une descente en effet qui attend le voyageur, qui sera frappé
en pleine gueule par toute l'horreur et la brutalité des crimes perpétrées dans les années 70 par le mouvement communiste radical des khmers rouges. A Sien Reap, c'est vers des sphères plus
enivrantes que l'on est happé frappé à nouveau, mais cette fois par la grandeur de la civilisation Khmère et la magnificence des temples d'Angkor. Entre horreur contemporaine et beauté d'un autre
âge, une fois de plus, je me suis laissé surprendre par les merveilles de l'Asie... Un continent qui me surprend... Angkor et toujours!
Les temples "d'Angkor". 2 syllabes, un lieu magique. Angkor, c'est l'âme et la fierté nationale du Cambodge! Angkor c'est un nom qui a aujourd'hui fait le tour du monde après que les temples qu'il désigne aient sommeillés pendant des siècles sous les feuilles et les racines de la jungle Cambodgienne. Les ruines d'Angkor sont le témoignage à même la roche de la grandeur et de la puissance de la civilisation Khmère, qui du IXème au XVème siècle étendit son royaume de la Birmanie au Vietnam. Angkor en fût l'épicentre, la capitale. L'organe politique, religieux et social majeur. A une époque où Londres était une "petite" ville d'à peine 50.000 habitants, c'est près d'un million de personnes qui résidaient dans l'immense "centre ville" (400 km²) de l'immense cité d'Angkor (dont la surface totale est évalué à 3000 km²). En plus de 2 immenses réservoirs d'eau artificiels, c'est une centaine d'immenses temples, des kilomètres de murs et des milliers de statues qui seront sculptées et érigées à la main par les artisans Khmères. La construction humaine la plus gracieuse et majestueuse qu'il m'ai été donné de voir. Mais en 1431, des problèmes environnementaux et écologiques (surpopulation, déforestation, dégradation des sols et de la qualité de l'eau) ainsi que les guerres avec les Thaïlandais du royaume d'Ayutthaya entraineront la fin de la capitale Khmère. Angkor sera déserté et abandonné à la nature. Les premiers européens à en découvrir les ruines seront des Portugais et des Espagnols, en 1570. Mais il faudra attendre le 19ème siècle et le début de la colonisation asiatique par la France pour que des archéologues s'intéressent aux ruines des temples d'Angkor et engagent d'importants travaux. D'abord de "redécouverte", puis d'exploration, de documentation et, finalement, de restauration. Aujourd'hui réhabilité et inscrit au Patrimoine Mondial de l'Humanité, le site fût longtemps inscrit dans la Liste du patrimoine mondial en péril.
J'ai consacré 3 jours à la visite des ruines d'Angkor. Après avoir investit 40$ dans un pass 3 jours (20$ pour un
jour, 60$ pour une semaine), j'ai fait appel au sympathique Tierat pour être mon chauffeur personnel. C'est sur sa moto que j'ai visité les temples du Petit et du Grand Circuit, puis les Temples
pré-Angkorien de Roluos. Je ne vais pas pouvoir parler de tous les temples que j'ai visité hein (des bouquins aussi épais que des dicos le font très bien) donc je vais me contenter de vous en
dire un peu plus sur les 3 temples que j'ai préféré (tout trois sur le Petit Circuit).
Forcément, icone de l'icone (c'est le temple qui figure sur le drapeau du Cambodge), j'ai entamé la visite des
ruines par un lever de soleil sur Angkor Wat. Quel moment chers amis! Je savais qu’Angkor allait être quelque chose d'impressionnant, mais je ne m'attendais pas à ça. Un de ces rares moment où
l'on est tout simplement éblouis, émus, impressionné et transcendé. Je me suis retrouvé dans le même état qu’à Uluru ou sur le trek de l'Everest : j'avais beau avoir lu et vu des photos avant de
m'y rendre, rien ne m'avait préparé à la beauté et à la magnificence de ce que j'avais devant les yeux. Je n'ai pas pu empêcher ma mâchoire inférieure de se désolidariser de la supérieure et
c'est silencieux, les yeux écarquillés, que j'ai passé mes premières minutes face au monument qu’es Angkor Wat.
Dédié à Vishnu, c'est le plus grand temple de la cité : le sanctuaire central et ses cinq tours -qui forment la
silhouette si connue d'Angkor Wat- s'atteignent après avoir franchi les douves de 160 mètres de large, le mur extérieur de 3,6 kilomètres de long, un grand jardin et trois galeries magnifiques et
riches en détails. Les galeries sont en effet superbes, le moindre espace est couvert de sculpture racontant diverses légendes, de statue d'Apsaras (les "danseuses" sexy du roi de l'époque, dont
les formes généreuses sont maintenant noircies par les mains indélicates des visiteurs) et autres bas-reliefs soigneusement détaillées (des frises de centaines de mètres racontent d'anciennes
batailles). Structure religieuse la plus grande du monde, il est impossible de se rendre compte de l'immensité de ce temple-montagne sans y faire face. Il est impossible de ne pas être
époustouflé par la logistique qu'a dût nécessité unetelle construction pour l'époque! Un sentiment qui revient d’ailleurs dans la plupart des temples visités : dur de rendre compte en quelques
mots de la richesse architecturale, de la grandeur des édifices (même à l'état de ruines) et de la complexité la "tâche" pour les gens de l'époque (la moindre pierre fût transportée sur plus de
50 kilomètres, sculptée et soulevée à la main à une époque où les techniques de maçonnerie était tout sauf évoluées... et où le ciment n’existait pas hein). Bref, Angkor Wat, c'est juste la
grandiloquente classe à la Khmère!
Après avoir passé la célèbre porte sud (bordée par 54 dieux et 54 démons qui se disputent le serpent de la vie), on pénètre dans Angkor Thorn, le coeur fortifié de la cité. C'est là que l'on trouve les bâtiments, places et terrasses publiques ainsi que les divers lieux de culte de la capitale Khmère. Et parmi ces lieux de culte, il y en a un qui sort définitivement du lot : c'est le temple de Bayon. En plus des bas-reliefs qui décrivent la vie quotidienne dans la cité (un des seuls témoignages de ce type d'ailleurs, personne ne sais vraiment comment se passait la vie à Angkor), le Bayon parfaitement illustre l'égo surdimensionné du roi qui en a ordonné la construction (Jayavarman VII), mais il en illustre aussi et surtout son gout pour le mysticisme et son génie créatif. En visitant les pierres branlantes de ce lieu mythique, on se fait petit à petit envahir par une légère vague de calme : les 54 immenses tours gothiques qui s'élèvent de ce temple sont ornées des fameux 216 énormes visages qui sourient sereinement à l'humanité. Si Angkor Wat témoigne de la grandeur de la civilisation Khmère, Bayon est définitivement le témoin de sa magie!
Enfin, dernier temple à ne surtout pas rater, le Ta Prohm. Si son architecture n'a en soit rien d'exceptionnelle, c'est les conditions de sa conservation qui en font un lieu unique : contrairement aux autres ruines, les archéologues ont ici décidés de ne pas libérer le temple de l'emprise de la jungle! C'est donc plus ou moins dans l'état dans lequel il a été découvert par les premiers européens que nous le découvrons nous aussi : murs détruits par d'immenses racines, portes obstruées par d'imposants troncs, statues prisonnières des branches... Il ne me manquait plus qu'un chapeau en cuir et un fouet pour me croire chez Spielberg!
Il y a de nombreux autres temples à visiter, plus ou moins proche de la ville de Siem Reap et plus ou moins
intéressants à découvrir. Mais 3 jours à crapahuter sous cette chaleur m'ont suffit! Quand bien même j'aurais aimé pousser la visite à une semaine (ouais je suis un temple freak!) je ne sais pas
si j'en aurais eu la force : du lever au coucher du soleil, sous une chaleur étouffante où ne filtre aucune brise, les journées sont longues et épuisantes à Angkor! Mais rien ne peux enlever à la
beauté du site : se balader dans ces constructions humaines qui datent de plus 1000 ans et pouvoir en contempler la beauté jusque dans les moindres détails, même avec les dégâts du temps, a
quelque chose d'indubitablement féerique!
Ces quelques jours à Siem Reap m'ont aussi offert une expérience humaine intéressante en me liant d'amitié avec
Tierat, mon sympathique moto driver Cambodgien! Alors que nous discutons bouffe, je lui demande quelle est le plat occidental qu'il préfère : il me jure n'avoir jamais rien mangé d'autre que du
riz et de la soupe. "Burger"? Un mot qu'il n'a jamais entendu. "Pizza"? Il pense qu'il en a vu une en photo un jour dans un journal. Je lui fais donc part de mon étonnement qu'il vive à Siem Reap
(ville très occidentalisée) sans connaitre aucun plat occidental. Mon nouvel ami m'avoue finalement qu'il vient juste de s'installer ici... et que je suis son premier client! Il me confie qu'il
vient de perdre son père et qu'en tant qu'ainé c'est à lui qu'incombe la tâche de ramener de l'argent au foyer familial. Armé de la moto de son défunt papa, il est donc envoyé à Siem Reap pour
conduire les touristes à Angkor (2,5 millions de visiteurs en 2011). Touché par la sincérité de sa confession, je l'invite pour ma dernière soirée à Siem Reap, à boire des bières... et à manger
un hamburger et une pizza. Un moment d'anthologie où j'ai du lui expliquer du moindre ingrédient de la pizza jusqu'à la manière de manger un hamburger avec les mains!
Littéralement terrassé par ces quelques jours à Angkor, je prends retraite dans la ville de Battambang pour quelques jours. Ville Cambodgienne typique (avec de magnifiques temples cependant), c'est dans sa campagne que je me régale le plus. Avec une moto de location je parts à la rencontre des gosses des environs et découvres les monastères haut perchés et les ruines dispersées dans les alentours.
Dernière étape de mon séjour au Cambodge : la capitale dépourvue de tout charme, Phnom Penh. Une ville que je n'ai donc guère appréciée mais où j'ai néanmoins été très marqué par le terrible (et méconnu) passé du pays. En 1975, le gouvernement en place est renversé par l'armée communiste radicale -les khmers rouges- de Pol Pot. Littéralement vidé, Phnom Penh devient une ville fantôme et ses habitants (ainsi que ceux de toutes les villes du pays) sont envoyés à la campagne pour travailler comme des esclaves dans les champs de riz (malades, infirmes, vieux, femmes et enfants y comprit). Restructurant de manière radicale et brutale la politique de la société Cambodgienne, Pol Pot se prévient de toute révolte populaire en ouvrant des camps d'exterminations où seront exécuté entre 250.000 et 3.100.000 civils (il n'existe aucun chiffre exacts). Fonctionnaires de l'ancien gouvernement, opposants politiques, historiens, étudiants, intellectuels (parler une langue étrangère ou porter des lunettes étaient considéré comme des signe d'intelligence), personnes ne se soumettant pas au nouveau régime : c'est 20 à 40% de la population qui sera assassiné de manière abominable (la plupart du temps au marteau ou à l'arme blanche pour ne pas "gaspiller" des munitions "trop chères") sans que la communauté internationale ne se doute même de quoi que ce soit!
Ce sont les Vietnamiens, répondant aux attaques frontalières des khmers rouges, qui libèrent finalement le pays en 1979. Ils y découvrent effarés -et révèlent au monde entier- l'étendue des atrocités qui se sont déroulées au Cambodge pendant 3 ans, 8 mois et 20 jours. De toute ma vie rien ne m'a plus touché que les évènements décrits et exposés aux camps d'exécution des khmers rouges, les "killing fields" (les "champs de mise à mort"). Ici on marche entre les ossements et les lambeaux de vêtements des civils assassinés quelques décennies plus tôt (que la pluie fait sans cesse remonter des entrailles de la terre), on découvre les "méthodes" utilisées pour les massacres (les khmers rouges allaient jusqu'à utiliser le tranchant des feuilles de palmiers pour égorger leurs victimes), on écoute le témoignage poignant des quelques rares survivants et on a du mal à contenir son émotion en faisant face à l'arbre sur lequel était fracassé le crane des nouveaux nés. Rien que d'y repenser j'ai l'estomac qui se tord.
J'ai eu beaucoup de mal à me lancer dans l'écriture concrète de cet article. Car il est vraiment difficile de rendre
compte avec de "simples mots" des sentiments éprouvés et des expériences vécues au Cambodge. Aucun mot ne sera assez fort pour décrire les horreurs commissent pendant la sanglante révolution des
khmers rouges. Aucun mot ne sera assez précis pour témoigner de la cruauté de ce génocide qui fait qu'aujourd'hui 40% de la population du Cambodge a moins de 14 ans. Aucun mot ne sera assez
puissant pour témoigner de la grandeur architecturale et de la beauté époustouflante des ruines d'Angkor. Aucun mot ne pourra même rendre hommage aux prouesses architecturales dont on fait preuve
les artisans (artistes ?) Khmères il y a plus de milles ans de cela.
Malgré la courte durée de mon séjour (une douzaine de jours) ainsi qu'un gros coup de fatigue (et une baisse de
motivation) après mes 3 jours à Angkor, je me suis pourtant totalement laissé submerger par le Cambodge et son haletant passé. Plus que dans aucun autre pays que j'ai traversé. Aujourd'hui je
n'ai pas l'impression d'avoir visité le Cambodge, j'ai l'impression que c'est le Cambodge qui m'a visité : je me suis senti envahi par le pays et son histoire, me sentant tour à tour "coupable"
de mon ignorance sur le génocide qui y a eu lieu, puis "fier" d'être le témoin de la puissance de l'ancienne civilisation qui y a vécu. Comme l'Australie, le Cambodge est un pays trop souvent
oublié par le reste du monde. Aucun mot ne pourra atténuer la culpabilité des pays occidentaux qui ne savaient pas (ou n’ont pas voulu savoir) ce qui se passait au Cambodge entre 75 et 79. Mais
je crois que ce qu’y m’est souvent venu à l’esprit c’est qu’aucun mot ne pourra jamais traduire l'émerveillement qu'ont dû ressentir les premiers explorateurs lorsqu'ils ont découvert, encore
ensevelis sous la dense végétation de la jungle, les ruines des temples d'Angkor...
Le Cambodge c'est
Un lieu à ne pas manquer : Le lever de soleil sur Angkor
Wat
Un lieu à éviter : Le Royal Palace de Phnom Penh dont le
prix est exorbitant pour un lieu en rénovation (les trois quarts des "attractions" sont tout bonnement fermées)
Un livre : D'abord ils ont tué mon père, bouleversant
témoignage de Loung Ungde, qui avait cinq ans lorsque les khmers rouges ont prit le pouvoir
Un plat à dévorer : Un délicieux Lok Lak, genre de sauté
de cubes de veau à la mode Khmère, parfait pour accompagner une Angkor Beer!
Une phrase qui a été dites : Sans aucun doute, les vampires
existent : certains d'entre nous en ont la preuve. Et même si nous n'avons pas fait nous-mêmes cette malheureuse expérience, l'histoire du passé nous fournit des preuves suffisantes de leur
existence. Notre ennemi est une brute, pis qu'une brute; c'est un démon sans pitié, (...) sans coeur ni conscience (Bram Stoker, Dracula)